« La consolidation du commerce électronique a accéléré l’automatisation des entrepôts »
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Nils Boysen, professeur de gestion des opérations à l’université Friedrich Schiller de Iéna
À propos de l’expertNils Boysen (Hambourg, 1972) est professeur de gestion des opérations à l’université Friedrich Schiller de Iéna (Allemagne). Formé en économie de l’entreprise, il a publié plus de 175 articles scientifiques dans des revues académiques de premier plan. Ses principaux domaines d’expertise sont le management des opérations et les processus logistiques dans le e-commerce, qui consistent en l’utilisation d’algorithmes d’optimisation visant à améliorer les performances commerciales des entreprises. Nils Boysen a été reconnu comme l’un des auteurs les plus prolifiques de l’European Journal of Operational Research au cours des 40 dernières années. Ses travaux de recherche ont été récompensés à plusieurs reprises par des associations prestigieuses, dont l’Association Académique Allemande pour la Recherche Commerciale (VHB) et l’Association des Sociétés Européennes de Recherche Opérationnelle.
Mecalux a interviewé Nils Boysen, professeur de gestion des opérations à l’université Friedrich Schiller, pour analyser comment le e-commerce a augmenté l’automatisation des entrepôts.
Comment le e-commerce transforme-t-il les entrepôts ?
Si vous faites un sondage dans la rue et demandez aux gens ce qui signifie pour eux le mot « stockage », ils penseront probablement à de longues allées remplies d’énormes rayonnages à palettes et quelques chariots élévateurs se déplaçant lentement. Pourtant, cet image n’a rien à voir avec les entrepôts de e-commerce d’aujourd’hui. La hausse fulgurante des ventes en ligne a donné naissance à une nouvelle génération d’entrepôts. Les installations e-commerce sont devenues des espaces bruyants où coexistent les personnes et la technologie. Chaque processus est surveillé de près, optimisé et soutenu par la robotique et la digitalisation. Nous traversons une période palpitante en matière de recherche sur le stockage.
Comment l’essor du e-commerce a-t-il affecté les processus logistiques clés tels que le stockage, la consolidation ou la préparation des commandes ?
Le marché du e-commerce a tendance à se concentrer sur un groupe réduit d’acteurs mondiaux qui représentent un pourcentage élevé de la croissance des ventes. Même les plus petits vendeurs en ligne utilisent les services de ces géants. L’essor du e-commerce a poussé les entreprises à augmenter les dimensions de leurs entrepôts, ce qui s’est traduit par des économies d’échelle. La production à grande échelle a permis aux entreprises de miser davantage sur la technologie, la robotique et les entrepôts automatisés. La consolidation du e-commerce a accéléré l’automatisation des entrepôts au cours de la dernière décennie.
Comment la préparation des commandes a-t-elle évolué dans le domaine du e-commerce ?
Auparavant, les opérateurs retiraient les produits des rayonnages à palettes à l’aide de chariots élévateurs. Cependant, les ventes e-commerce fonctionnent autrement. Par rapport au commerce de détail classique, les entreprises ont un grand nombre de commandes à traiter, sachant que l’acheteur en ligne a tendance à acheter de petites quantités d’articles. En effet, la taille moyenne d’une commande Amazon standard en Allemagne, par exemple, n’est que de 1,6 articles. Cette combinaison de gros volumes de commandes et de petites quantités d’articles rend très difficile d’anticiper quels produits seront vendus ensemble.
Dans un entrepôt traditionnel, les articles les plus demandés peuvent être regroupés dans une même zone pour éviter aux opérateurs de parcourir de longues distances. En revanche, lorsqu’il n’est pas possible d’anticiper quels références seront vendues ensemble et que les stocks sont très variés, les acteurs e-commerce ont souvent recours à des stratégies de stockage chaotique ou à des rayonnages mixtes. Cela veut dire que, au lieu de stocker des palettes entières sur les racks, les marchandises palettisées sont fractionnées, les articles séparés et répartis dans l’entrepôt. Avec cette méthode, peu importe quels produits le client aura commandés, car ils seront toujours à portée de main quelque part dans l’entrepôt. Cela évite aux opérateurs d’avoir à parcourir de longues distances, et c’est la stratégie utilisée par de nombreuses entreprises pour gérer les particularités logistiques de la préparation de commandes e-commerce.
Les chiffres d’affaires croissants du e-commerce ont donné naissance à une nouvelle génération d’entrepôts
Comment sont organisés les stocks et les opérations dans un entrepôt e-commerce ?
Lorsqu’on applique une stratégie « homme vers le produit » de préparation de commandes, où l’opérateur va chercher les produits en parcourant l’entrepôt, le stockage chaotique est une méthode efficace d’organisation des processus et des stocks. Avec le système alternatif « produit vers l’homme », ce sont des solutions automatisées qui acheminent les articles à l’opérateur. Par exemple, Amazon utilise de petits robots autonomes qui soulèvent les rayonnages et les rapprochent des opérateurs afin que ces derniers puissent se concentrer sur le processus de picking sans avoir à se déplacer à pied dans l’entrepôt.
Un autre concept similaire est celui des trieurs à pochettes, où les articles sont placés en vrac dans de petits sacs accrochés à un convoyeur suspendu au plafond. Les stocks sont transportés de manière automatique vers de grands buffers, les sacs restant suspendus jusqu’à ce qu’ils soient triés puis transférés à un poste de picking où l’opérateur n’a plus qu’à extraire les articles. Ce système est très pratique et efficace pour la préparation des commandes. Il existe de nombreuses solutions organisationnelles et technologiques pour faire face à la logistique complexe du e-commerce.
Pourquoi est-il important que les opérations logistiques des entreprises e-commerce soient efficaces ?
Car leur activité en dépend, bien évidemment. Pour les détaillants, il est difficile d’obtenir un avantage concurrentiel par la différenciation des produits, car ils dépendent de produits tiers. Leur force repose sur un portail web performant et sur des opérations logistiques efficaces assurant des livraisons rapides. Les commerçants peuvent améliorer leurs processus logistiques dans deux phases clés : le stockage et le dernier kilomètre, c’est-à-dire la dernière étape du processus de livraison des commandes. Ces deux phases sont logistiquement essentielles, c’est pourquoi les marchands e-commerce doivent viser l’excellence dans leurs centres de distribution.
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Quel rôle joueront dans les livraisons les nouvelles technologies telles que la digitalisation des processus, les drones et les véhicules autonomes ?
Le dernier kilomètre est, après le stockage, l’étape critique pour une logistique efficace. Les moyens de transport actuels tels que les camions sont coûteux, et les dures conditions de travail pour les livreurs rendent le recrutement difficile, surtout dans les pays industrialisés où la société est vieillissante.
Les nouvelles technologies, telles que la conduite autonome ou les drones, apparaissent comme des solutions possibles. La conduite autonome, en particulier, peut contribuer largement à améliorer les livraisons des marchandises sur le dernier kilomètre. Les drones, cependant, posent des problèmes de sécurité, car personne ne veut qu’un tel engin lui tombe sur la tête.
La conduite autonome consiste en des camions transportant de petits robots autonomes qui circulent lentement sur les trottoirs pour livrer des colis. Une autre solution technologique est celle des casiers mobiles, où de nombreux colis sont stockés dans un véhicule autonome. Une fois ce dernier garé en bordure de trottoir, le client reçoit une notification sur son smartphone lui indiquant que le casier se trouve devant sa porte et qu’il peut le déverrouiller avec son téléphone pour récupérer le colis. Je pense que ce seront certaines des solutions futures, car il sera de plus en plus difficile de trouver suffisamment de personnel pour livrer nos achats en ligne.
Surtout sachant que les commandes sont de plus en plus petites et de plus en plus fréquentes…
Oui, et les gens s’attendent également à ce que les commandes soient livrées de plus en plus rapidement. Il y a un grand besoin de développer des solutions nouvelles, rapides et rentables.
À quoi ressembleront, selon vous, les entrepôts du futur ?
À l’avenir, j’imagine qu’un large éventail de technologies coexistera avec une multitude de types de stockage, au lieu d’avoir une solution unique répondant à tous les besoins. Les commandes à livrer le lendemain seront probablement traitées à la périphérie des villes, dans de grandes installations automatisées. Ces entrepôts, équipés des dernières technologies, seront combinés à des installations traditionnelles supplémentaires pour une flexibilité accrue.
Une autre tendance qui va se développer est l’attente des consommateurs de recevoir leurs commandes dans l’heure. Ce besoin stimulera le stockage en ville, dans des entrepôts équipés de systèmes capables de fonctionner dans des espaces réduits pour compenser les prix élevés du mètre carré dans les zones urbaines. Pour accélérer la livraison des commandes, les entrepôts verront également se multiplier les différentes solutions automatisées permettant d’empiler et d’extraire efficacement les produits par le biais de robots.
Les robots mobiles autonomes seront quant à eux une tendance croissante. En effet, ils constituent l’une des solutions les plus flexibles du marché. Les AMR sont évolutifs à court terme. Par exemple, une entreprise pourrait les ajouter lorsqu’elle s’attend à un pic de ventes en haute saison ou les mettre de côté lorsqu’elle n’en a plus besoin. Par ailleurs, les petits robots autonomes normalisés sont assez abordables. La flexibilité est aussi un moteur de la technologie, et les solutions telles que les robots autonomes sont sans aucun doute une tendance qui façonnera l’avenir des entrepôts.