La vitesse au service d’une supply chain immunisée

17 juin 2024

Dans leur ouvrage « Flow : how the best supply chains thrive » (Flux : prospérité des meilleures chaînes d’approvisionnements), les experts Rob Handfield et Tom Linton établissent un lien entre le succès d’une chaîne d’approvisionnement et sa capacité à « flotter », un concept étroitement lié au principe de la nature. En s’appuyant sur ces lois, ils explorent l’impact de la physique sur les politiques du marché mondial et proposent des conseils et des stratégies pour optimiser toute activité commerciale.

La visibilité seule ne suffit pas à stimuler la vitesse

La vitesse, déterminée par le temps et la distance, est l’un des multiples vecteurs temporels qui suscitent l’intérêt des physiciens. En physique, la capacité d’augmenter la vitesse affecte tout résultat escompté. Il en va de même pour la chaîne d’approvisionnement. En règle générale, il est préférable d’accomplir les tâches plus rapidement, car l’augmentation de la vitesse de circulation des marchandises ou de l’exécution d’un service présente peu d’inconvénients. Ce concept universel est devenu le sujet central de nombreux conseils d’administration axés sur les résultats financiers, dont beaucoup sont associés à des améliorations de la vitesse. Voici quelques flux financiers liés à cette dimension :

  • De nombreuses chaînes d’approvisionnement mondiales privilégient le fonds de roulement plutôt que les marges bénéficiaires, comme indicateur clé de leurs performances. Le fonds de roulement constitue le reflet le plus tangible de la vitesse du flux de trésorerie d’une entreprise, car celui-ci s’accélère au fil du temps.
  • Garantir un mouvement constant des stocks est essentiel pour une chaîne d’approvisionnement saine.
  • La réactivité dans la planification et l’exécution peut se traduire par une meilleure satisfaction client et une gestion optimisée des retours, une plus grande flexibilité face au changement et des délais de réaction réduits en cas de perturbations.
  • Une prise de décision rapide face à des interruptions majeures de la chaîne d’approvisionnement permet de limiter considérablement leur impact, car une action basée sur des informations en temps réel peut atténuer les risques de catastrophes.

La capacité d’une entreprise à réagir promptement à la notification d’événements constitue un pilier fondamental pour bâtir une ressource organisationnelle capitale pour l’avenir : l’immunité de la chaîne d’approvisionnement. Cette immunité se définit comme la faculté d’une organisation à détecter toute évolution de son écosystème, à reconnaître les perturbations des conditions et à y répondre avec souplesse pour s’adapter à ces changements. Toutefois, beaucoup d’acteurs du monde de la supply chain ont pris conscience qu’il ne suffit pas de localiser le point de survenue d’une perturbation, mais qu’il est crucial de savoir comment agir en cas d’urgence.

Garantir un flux continu des stocks est essentiel pour maintenir une chaîne d’approvisionnement saine

Cela implique l’existence d’un manuel précisant la réponse à adopter et fournissant des directives à suivre en cas d’imprévu. Ce manuel doit être suffisamment générique pour couvrir toute menace potentielle. Il est également indispensable de maîtriser les techniques permettant de minimiser les effets néfastes des défaillances de la chaîne d’approvisionnement susceptibles d’entraîner la cessation d’activité d’une entreprise face à un événement d’ampleur mondiale tel qu’une pandémie. Par ailleurs, il convient d’élaborer un plan visant à renforcer l’immunité de la supply chain. En ce sens, la visibilité et la rapidité d’action constituent deux des conditions sine qua non pour y parvenir.

Amélioration de la vitesse des actifs : flux de marchandises

Accélérer le mouvement des marchandises et la prise de décision peut accroître la résilience face aux perturbations au sein de l’écosystème. Cependant, pourquoi les organisations n’adoptent-elles pas plus souvent ces pratiques ? Voici trois mesures décisives pour atteindre une vitesse d’inventaire optimale :

  1. Dès le début du cycle de vie d’un produit, confier la responsabilité de la création des nomenclatures
  2. Concevoir des produits en tenant compte de la gestion du cycle de vie, en intégrant la manière dont les marchandises et les composants circuleront pendant le processus.
  3. Améliorer la communication entre les ventes et la planification de la chaîne d’approvisionnement, ce qui permet une meilleure coordination entre les fournisseurs et les clients.

Un inventaire immobile crée des frictions, l’antithèse du flux. Le surstock devient une charge plutôt qu’un profit. Réduire les distances entre les usines, les fournisseurs et les clients diminue le temps nécessaire pour acheminer les marchandises entre eux. Les entreprises gagnent en agilité en éliminant les gaspillages de fabrication et en augmentant la vitesse de circulation des matériaux entre les acteurs de la chaîne d’approvisionnement. En ce sens, les supply chain agiles s’alignent sur les principes de la physique.

Les auteurs préconisent d’investir dans le suivi en temps réel des événements

Les obstacles à la fluidité des stocks

Lorsque les stocks s’accumulent, ils stagnent complètement. Dans certains cas, ils peuvent rester stockés pendant de nombreuses années avant d’être découverts et vendus comme ferraille ou mis au rebut. En comptabilité, il existe un terme pour cette situation malheureuse : stocks excédentaires, stock suranné ou articles obsolètes. Ce phénomène, préoccupe de nombreux responsables de la chaîne d’approvisionnement et il vaut la peine d’examiner les raisons qui le provoquent.

Lors d’un séminaire récemment donné à l’Université d’État de Caroline du Nord, les causes de la perturbation des flux d’inventaire ont été analysées, ce qui entraîne souvent la mise au rebut des articles ou leur vente à prix réduit, générant des coûts supplémentaires. Les cadres participant à ce séminaire provenaient de divers secteurs d’activité, notamment l’industrie pharmaceutique, l’électronique, la chimie et l’automobile. Tous les gestionnaires ont identifié des raisons communes pour lesquelles les stocks cessent de circuler au fil du temps. Les stocks à faible rotation étaient généralement la conséquence de décisions désalignées dans des domaines tels que le cycle de vie des produits, la standardisation de la conception et les prévisions de ventes promotionnelles. Le coût de l’excès de stock n’était souvent pas mesuré efficacement et était donc ignoré dans les bilans.

Afin d’éviter des pertes excessives, les entreprises doivent documenter les facteurs qui influencent les coûts des stocks, y compris la main-d’œuvre (opérateurs d’entrepôt), les dommages, la maintenance, l’assurance responsabilité civile, les obligations contractuelles, entre autres. L’objectif n’est pas de favoriser la reddition des comptes, mais de garantir que toutes les parties prenantes, y compris les ventes, la production, les achats et les fournisseurs, soient conscientes du coût de mauvaises décisions.

Les stocks s’accumulent lorsqu’un article est progressivement retiré du marché ou lorsqu’un projet important se termine. En général, cela s’explique par le fait que les engagements contractuels de maintien des stocks sont mal définis et que le coût des obligations envers les clients n’est généralement pas pris en compte dans le cycle de gestion des compte débiteurs.

Toutes les industries semblent confrontées à des problématiques de stock, souvent sous-estimée et mal interprétées

Lorsqu’une collaboration efficace fait défaut entre les groupes fonctionnels dans la planification des cycles économiques, des complications sont fort probables. Il peut même arriver que, dans le cadre des échanges entre les ventes et les opérations, différentes divisions achètent les mêmes marchandises sans partager d’informations. Ainsi, l’une peut stocker un inventaire d’une valeur de 10 millions de dollars tandis que l’autre recherche les matières premières nécessaires à la production des mêmes pièces.

La problématique des stocks excédentaires est commune à toutes les industries et est parfois mal interprétée et sous-estimée. Par exemple, une entreprise valant 4 milliards de dollars estimait à 4 millions de dollars la valeur de ses stocks excédentaires. Cependant, une étude interne a révélé plus de 44 millions de dollars d’excédents de stock dans ses entrepôts. La quasi-totalité des marchandises était obsolète, accumulée depuis au moins dix ans, les dirigeants ignorant leur existence.

Une autre problématique réside dans le décalage survenant au cours des cycles de planification des produits, lors de l’élaboration des prévisions. La plupart des entreprises ne veulent manquer aucune vente, de sorte que les stocks excédentaires à la fin du trimestre sont souvent considérés comme une erreur. Lorsqu’elles ont un excédent de stock, celui-ci n’est généralement pas reconnu et la décision de son utilisation est reportée. Finalement, les errements de l’entreprise finissent par retomber sur la chaîne d’approvisionnement et l’excédent de stock devient la responsabilité de l’équipe chargée de sa gestion.

Les entreprises devraient analyser et mettre en œuvre les stratégies décrites précédemment pour promouvoir une plus grande vitesse de leur inventaire et de leur fonds de roulement. Bien que cela nécessite des changements de mentalité et de culture d’entreprise, cette approche peut produire des résultats significatifs. La première étape consiste à se débarrasser de la mentalité d’accumulation excessive de certains dirigeants, qui se sentent mal à l’aise lorsqu’ils ne détiennent pas de grandes quantités de stocks. En témoigne le surstockage connu par de nombreuses entreprises, même pendant les perturbations de la chaîne d’approvisionnement en 2021 : elles ont stocké les mauvaises marchandises, et non celles demandées par les clients !

 

PRATIQUES


Comment votre secteur et votre entreprise définissent-ils la portée de votre chaîne d’approvisionnement ?

PRINCIPES


Quelles valeurs sous-tendent un cadre de politiques juridique et éthique pour orienter les employés ?

RESSOURCES HUMAINES


Quelles compétences sont nécessaires pour soutenir la mission de l’entreprise ?

PHILOSOPHIE


Quelle approche de la supply chain s’adapte le mieux au secteur d’activité, à la culture, aux délais, à la technologie, aux capacités et aux objectifs de votre organisation ?

CONCEVOIR DES ENTREPRISES AVEC UNE SUPPLY CHAIN AGILE

Accroître la visibilité ne suffit pas à stimuler l’agilité – il faut définir un environnement opérationnel propice à cette agilité. Tom Linton a formulé huit questions clés que tout responsable de chaîne d’approvisionnement devrait prendre en compte lors de la conception de leur organisation pour améliorer les flux et de renforcer la résilience.

ASPECTS PHYSIQUES


Quelles sont les exigences structurelles en termes d’emplacements, d’installations et de distances pour un fonctionnement efficace ?

PROCESSUS


Comment votre entreprise mettra-t-elle en œuvre sa philosophie, ses politiques et ses pratiques ?

POLITIQUES


Quelles règles sont nécessaires pour encadrer le comportement de l’entreprise dans les limites légales et éthiques définies par la direction ?

PERFORMANCES


Quels objectifs indiquent le succès ? Sont-ils soutenus par une prise de décision agile ?

Manuel pour l’immunité de la chaîne d’approvisionnement

Voici quelques enseignements clés que les lecteurs doivent retenir :

  • Mettre en place des indicateurs permettant d’identifier précocement tant les problèmes à court terme que les perturbations potentielles à long terme, et établir une structure de gouvernance pour y répondre efficacement.
  • Standardiser les pièces, les composants et les codes de référence pour flexibiliser la chaîne d’approvisionnement.
  • Développer une connaissance approfondie des fournisseurs et de la capacité logistique mondiale.
  • Adopter des technologies de suivi en temps réel et affecter une équipe dédiée.
  • Évaluer les conséquences d’un manque d’investissement dans les ressources dédiées à la protection de la chaîne d’approvisionnement.
  • Favoriser une structure de leadership horizontale pour accroître la réactivité en cas de catastrophe.
  • Prioriser les plans d’approvisionnement en fonction de leur criticité.
  • Simplifier le recrutement et les négociations pour renforcer l’immunité de la chaîne d’approvisionnement.
  • Garantir la sécurité de l’ensemble des travailleurs tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

La simplification des flux a de nombreuses répercussions sur la conception des chaînes d’approvisionnement du futur. En particulier, les guerres commerciales et les restrictions liées à la COVID, qui ont fragilisé les chaînes d’approvisionnement, font que la fluidité des flux de marchandises devient un enjeu de plus en plus crucial pour les entreprises.

 

Flow : How the best supply chains thrive, Rob Handfield et Tom Linton Extrait de Flow: How the best supply chains thrive, Rob Handfield y Tom Linton. Copyright University of Toronto Press, 2022. Tous droits réservés. Réimprimé avec l’autorisation de Rotman-University of Toronto Press Publishing.

 


 

À PROPOS DES AUTEURS

Rob Handfield, professeur à l’université d’État de Caroline du Nord ROB HANDFIELD
Professeur émérite titulaire de la chaire « Bank of America » en gestion de la chaîne d’approvisionnement à l’Université d’État de Caroline du Nord, dirige également la Coopérative de ressources de la supply chain. Spécialiste reconnu de l’approvisionnement stratégique et du développement de fournisseurs, il apporte une expertise précieuse dans ces domaines.
Tom Linton, directeur Achats et Supply Chain chez Flex TOM LINTON
Directeur des achats et de la supply chain chez Flex, cumule plus de deux décennies d’expérience chez IBM, où il a joué un rôle déterminant dans la création de plusieurs centres mondiaux. Son savoir-faire opérationnel lui a valu la prestigieuse médaille d’or J. Shipment de l’Institute of Supply Management en 2019.